Décomposition de l’éclair en brindilles. Salah Stétié.

Peintures de Colette Ottmann.

Les Petites Vagues Éditions, 2007. La Broque. 19 euros. ISBN 978-2-915146-34-9.

21 peintures, subtiles, délicates, à la fois abstraites et oniriques, espaces méditatifs de colorations rythmées, rêveusement obsédantes; 21 poèmes de l’auteur de grands recueils – je ne parle que de quelques-uns des derniers titres – comme Fièvre et guérison de l’icône (1998), Fiançailles de la fraîcheur (2003), Brise et attestation du réel (2003), Si respirer (2003), Fluidité de la mort (2007). Décomposition de l’éclair en brindillesekphrasis de l’imitation pure où l’écrit se sentirait  obligé de suivre de façon mollement descriptive les étrangetés spiralantes d’un geste figural refusant, précisément, lui aussi, d’adhérer à une réalité ‘platement’ observable. Deux gestes ainsi qui optent pour une coïncidence avec le réel loin de toute réduction rationalisable, tout en générant ce que Pierre Reverdy a appelé une consubstantialité, une relation osmotique librement rêvée avec ce que l’on est et vit, relation ni arbitraire, loin de là, ni ésotérique, hygiéniquement coupée du ruissellement des choses et de l’esprit qui (s’)interroge. Rien d’étonnant si Salah Stétié et Colette Ottmann ont choisi de procéder à cette collaboration : d’un côté, artiste de l’expérience d’une présence qui est en même temps absence, indicible, indéterminable, ouverture sur la mystique profondeur de l’ontos au sein de sa matérialité; de l’autre, poète de la ‘brûlure’ qui est simultanément lumière éclatante et aveuglement, destruction même, poète de l’invisible tout en s’ancrant dans l’intensément vécu, ‘la nuit de la substance’, poète des ‘nœuds’ inextricables de l’ontos, compacts et fragiles à la fois, se formant, se défaisant, fatalement pris dans la troublante et pourtant si exaltante figurativité qui lutte incessamment avec la tentation de sa propre soi-disant iconicité afin de ne jamais oublier ‘le seul devoir de l’esprit [qui] est la quête ininterrompue de l’inapparu’. Colette Ottmann, tout comme le poète qui regarde et médite les formes de l’artiste, si finement distillées, à la fois si sereines et si riches d’implicites réseaux affectifs – elle aussi procède à cette ‘décomposition de l’éclair’, sa mise en ‘brindilles’, la transmutation de l’expérience émotionnelle brute, en ce que Reverdy – là encore – appelait ‘cette émotion appelée poésie’. Ainsi, dans les textes comme dans les peintures, il ne s’agit nullement de représenter selon les critères gouvernant jadis notre conception du représentable; et pourtant les deux gestes, poétique et plastique, ne cessent d’être aux prises avec tout ce que nous cherchons tous et toutes à ‘représenter’ pour satisfaire à la fois à notre besoin de joie et à celui qui exige notre satisfaction spirituelle, au sens très large de ce terme. Nous plongeons ainsi au cœur des vastes énigmes de notre être-au-monde, énigmes bariolées, infiniment hybrides, mouvantes, qui fuient à jamais tout effort pour les stabiliser. Et pourtant, face à cette mouvance de l’être, poète et artiste n’abdiquent jamais cette espèce de responsabilité ontologique qui les pousse à relever, sans relâche, le défi, tantôt sans doute angoissant, tantôt vivifiant, de cela qui aveugle – tout en éblouissant.

Deux grandes démarches magnifiquement entretissées.

Michel  Bishop, Dalhousie University